22/06/2013

Document de collecte sonore et deuils

               Le projet d'émission avec les 4° bilangue espagnol a suscité une remarque de la professeur d'espagnol à propos d'une interview trop longue réalisée par les élèves. Ceux-ci n'ont pas assez "coupé" l'interview. Moi-même, dans l'article qui décrit le projet, j'écris à propos des compétences travaillées " Il n'y a pas de recherche d'informations car toutes les informations ont été recueillies lors du voyage."

Ces 2 observations m'amènent à en faire d'autres : 

Tour d'abord, j'ai tort lorsque j'écris que les élèves n'ont pas effectué de recherche d'informations : enregistrer des ambiances sonores, des interviews, c'est réaliser une recherche d'informations. Celles-ci ne sont pas dans un livre, ni diffusées via un média. L'information est sonore, diffusée en temps réelle et dans le champ auditif (// hors-champ).
  • j'ai besoin d'informations sonores illustrant le lieu où je me trouve
  • ma stratégie de recherche : être à l'écoute des ambiances sonores (informations sonores créées par de multiples sources humaines, mécaniques, naturelles ...) qui nous englobent lors des visites.
  • je sélectionne des informations sonores car je les considère pertinentes par rapport à mon sujet de recherche (présenter un lieu visité avec enregistrements d'ambiances et/ou d'interviews), intéressantes car elles apportent des connaissances nouvelles sur le sujet, accessibles à la compréhension du plus grand nombre d'auditeurs. Savoir sélectionner l'information pertinente en temps réel n'est pas simple car enregistrer une information sonore demande de la rapidité. Quelquefois, le temps de sortir l'appareil pour enregistrer et le son est fini.
  • je prélève les informations sonores en les enregistrant.
J'irai même plus loin, il s'agit de créer un document de collecte* sonore : 
L'élève qui collecte les informations sonores doit auparavant enregistrer son nom et le lieu où il se trouve (la source).

Du côté du montage, c'est :
  • comprendre l'information orale (pour une interview)
  • savoir n'en sélectionner que des extraits et donc savoir supprimer. Supprimer du son ou des extraits d'interviews est complexe pour un élève. Il doit être capable de faire le deuil d'une partie de son travail. C'est ce qui est le plus difficile dans le montage (audio et vidéo) : se satisfaire d'un extrait de quelques secondes lorsque l'enregistrement en lui-même a nécessité une longue et fastidieuse préparation. Mieux vaut sauvegarder le document de collecte sonore, cela aide psychologiquement les élèves à couper.
  • savoir organiser les extraits sélectionnés en les montant dans une chronologie autre que celle de l'enregistrement en temps réel. Cette étape est assimilable à la création d'un plan car le montage doit répondre à une cohérence du discours de l'élève. Le montage peut être chronologique ou thématique.

            Le son, c'est de l'information. Être capable de sélectionner les sons représentatifs d'un lieu n'est pas simple pour un élève, cela demande de la concentration, de l'observation, de l'anticipation sur le montage final voulu et une certaine culture liée au lieu où il se trouve. Il doit réussir à sélectionner, à ne pas tout enregistrer, à faire le deuil de ce qu'il entend, puis faire le deuil de ce qu'il n'utilise pas lors du montage. Savoir faire des choix définitifs.

         
 
* dossier trsè complet sur le document de collecte sur DocpourDocs

16/06/2013

Professeur documentaliste : do it yourself !

                     Je suis professeur et documentaliste. L'intitulé de mon poste est professeur documentaliste. 
J'enseigne des connaissances et compétences en littératie informationnelle, numérique, médiatique, informatique, citoyenne.
Quand je lis le "Point d'étape de l'entrée de l'École dans l'ère du numérique" daté du lundi 10 juin 2013, et que j'arrive à la page 25 sur les actions pour relancer l'Education aux Médias et à l'Information et favoriser un usage responsable d'Internet et des réseaux sociaux ... je me mets à y croire.

Sauf que, au paragraphe "quel plan d'actions à partir de la rentrée", je lis ceci : 
"Un cadre de référence sera élaboré. Il définira les objectifs de l’éducation aux médias et leur déclinaison concrète sous la forme de séquences pédagogiques proposées pour les différentes disciplines
Le Conseil supérieur des programmes créé par la loi sera missionné pour proposer les modalités d’intégration de l’éducation aux médias et à l’information dans les programmes et le socle commun"
Sauf que mon enseignement n'est pas considéré comme une discipline, malgré un CAPES qui a plus de 20 ans d’existence, malgré des séances que je mène seule ou avec un professeur de discipline. Je ne collabore pas. Mon enseignement est réel, organisé, anticipé, réfléchi avec des fiches-outils pour les élèves et une progression sur l'année et en fonction des niveaux, des compétences et connaissances à évaluer dans le socle commun ou le B2I et des heures consacrées à préparer mes séances. Mon enseignement complète celui de l'enseignant de "discipline".
Sauf que j'enseigne sans programme, ni curriculum, ni référentiel ... j'enseigne ce que ma conscience professionnelle et ce que je lis dans des espaces de mutualisation (académiques ou associatifs, blogs de professeurs documentalistes) me motivent à enseigner afin que les élèves, qui sont avant tout des individus, deviennent des citoyens éclairés, autonomes et responsables devant toute information, quel que soit son support et son moyen de diffusion.

Ainsi, en deux phrases seulement, je sais que je ne suis pas concernée par l'entrée de l'Ecole dans l'ère du numérique. En deux phrases seulement, je me sens exclue du corps professoral, insignifiante, inexistante.

Pourtant, j'ai beau y réfléchir, j'enseigne les médias, la preuve par ce blog (qui ne présente qu'une partie de mon enseignement) :
 •Je veux "Permettre aux élèves d’exercer leur citoyenneté dans une société de l’information et de la communication, former les « cybercitoyens » actifs, éclairés et responsables de demain" 
• Je veux "Permettre la compréhension et l’usage autonome des médias par les élèves (...)  qui sont à la fois lecteurs, producteurs et diffuseurs de contenus 
• J'enseigne "Une pratique citoyenne des médias : une lecture critique et distanciée de leurs contenus et une initiation aux langages, aux formes médiatiques pour pouvoir s’informer suffisamment, s’exprimer librement et produire soi-même de l’information" 
• J'enseigne "Le développement d’une compétence de recherche, de sélection et d’interprétation de l’information, ainsi que d’évaluation des sources et des contenus"
• j'enseigne "Une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, éthique" (1)

Pourtant, j'ai beau y réfléchir, j'enseigne le numérique dans l'ère duquel l'école doit entrer. J'enseigne la culture numérique et un usage responsable et citoyen d'Internet.
•J'enseigne "aux élèves à utiliser les opportunités offertes par ces nouveaux médias tout en assurant leur protection, celle de leur image numérique et de leur vie privée sur internet et sur les réseaux sociaux, et prévenir les risques d’atteintes aux droits des enfants" mais sans leur faire peur. Je ne suis pas dans l'enseignement de la peur mais de la compréhension pour un meilleur usage .
•J'enseigne "aux élèves à distinguer entre réalité et fiction "
•J'enseigne à mes "élèves à utiliser les nouveaux outils pédagogiques à bon escient" (2)

Cette liberté de n'avoir aucun programme nous oblige, nous, professeurs-documentalistes, à nous auto-former et à mutualiser sans cesse afin de faire évoluer nos pratiques, nos projets et notre enseignement. Cependant, voilà que cette douce liberté nous marginalise.

Pourquoi nous oublier ? 
Peut-être avons-nous tort et ne sommes pas tant que cela tournés vers le numérique ? Peut-être que nous n'avons pas su être réactifs en assez grand nombre et nous faire entendre ? Ou peut-être que notre futur (déjà écrit) est de gérer un Centre de Connaissances et de Culture, d'être médiateur auprès des élèves et collaborateur d'enseignants disciplinaires.

Maintenant, posons-nous quelques questions : 
Si les enseignants de discipline enseignent demain ce que nous enseignons déjà aujourd'hui, qu'allons-nous enseigner demain ? 
Comment allons-nous justifier notre légitimité à prendre, seuls, des élèves en séances pour enseigner des connaissances et compétences liées à la culture numérique, informationnelle, médiatique, citoyenne ? (que les professeurs de discipline n'ont pas le temps, aujourd'hui, d'aborder à cause de programmes disciplinaires lourds).
Si notre enseignement n'est pas reconnu aujourd'hui, après plus de 20 ans d'existence de CAPES, quand sera-t-il reconnu ? 



            Aujourd'hui, je me sens légitime en tant qu'enseignante. Je sais que ce que j'enseigne est utile, réel, fondé et reconnu. Ce sentiment, je le dois à l'équipe éducative de mon établissement. Je sais que mon enseignement est légitime. 
Qu'en sera-t-il demain ? 
Aujourd'hui, je sais l'importance d'intégrer le " numérique dans les enseignements pour assurer la formation au numérique, aux sciences du numérique et l’éducation aux médias". 
Quelle sera ma place demain ? 

Do it myself ...

(1) page 25
(2) page 26

12/06/2013

Paysage sonore ; polysémie vs contextualisation

            Créer un paysage sonore n'est pas chose simple. Le contextualiser non plus.
Enregistrer une ambiance sonore, un son, c'est connaître l'avant et l'après de la prise de son. C'est également connaître la source sonore.
Or, le son stimule l'imagination, ce que le cinéma a très bien compris. Entendre un son, c'est imaginer la ou les sources sonores, s'imaginer au moment présent de l'enregistrement. Certains sons prêtent à confusion quant à leur source (rappelez-vous le son des noix de coco entrechoquées qui reproduisaient le bruit des sabots d'un cheval au galop dans le film "Monty Python : Sacré Graal" sorti en 1975). Bruiteur est un métier important au cinéma. Comme l'image, le son est polysémique et nécessite une contextualisation pour en facilité la lecture.

          Pour les élèves, cette nécessité n'est pas évidente. Ils savent ce qu'ils ont enregistré et oublient que ceux qui vont entendre ne savent pas. 
Qui parle ? Pourquoi ? A quelle occasion le son a-t-il été enregistré ? Où ? Qu'est ce qu'on entend ? Pourquoi l'enregistrer ?
Qui / quoi / où / quand / pourquoi : ce sont les 5 W très proches du questionnement quintilien (ou inversement ?)


            Prenons l'exemple du voyage scolaire en Espagne : les élèves ont enregistré des sons qu'ils ont considéré comme représentation d'une réalité propre à l'Espagne : j'entends quelqu'un qui chante la Jota, j'enregistre le chant car c'est typique de l'Espagne. J'entends l'ambiance d'un collège en Espagne, j'entends l'ambiance sonore d'une ville espagnole ... Ils ont enregistré un paysage sonore espagnol.
Une fois en France, les élèves ont rédigé un texte à partir de ces sons qui devaient soit illustrer soit compléter leurs propos. Dans tous les cas, les sons diffusés devaient être de la valeur ajoutée à leur texte.
Or, un son ne se voit pas. Comment savoir qu'on entend une ville Espagnole si on ne nous le dit pas ou si aucune parole en espagnole n'est entendue ? Les bruits de ville sont-ils les mêmes dans tous les pays ? S'il y avait l'image, il suffirait de regarder les panneaux, magasins, les plaques d'immatriculation des voitures ...

              Les élèves ont donc précisé les 5W avant ou après leurs ambiances sonores. Ils se sont identifiés* aux auditeurs vierges de toute connaissance sur le sujet traité et les sons diffusés. En contextualisant, ils ont limité l'effet polysémique du son.

             Je rajoute juste que cette contextualisation est un entrainement à la rédaction d'introduction, ce que les élèves font rarement dans leur travail de recherche.

*Pour l'identification des élèves, je vous renvoie à mon article publié sur Cactus Acide : Lire, écrire et dire une photo de presse : identification et discours


Des voyages scolaires pour créer des cartes postales sonores

                S'il y a bien une occasion pour réaliser des reportages, des enregistrements d'ambiances sonores ... des "cartes postales" sonores, ce sont les voyages scolaires. Je prends, pour cette séquence, l'exemple d'un projet réalisé avec des 4° à l'occasion de leur voyage en Espagne.
                  
Projet avec l'enseignante en espagnol et des 4° bilangue : création de 7 chroniques sonores par les élèves, montées ensuite en une seule émission, diffusée via un audioblog (podcasts) et via une radio associative
Les élèves partent une semaine en Espagne visiter différents lieux pittoresques. Chaque groupe a un sujet défini et doit enregistrer des sons / ambiances sonores propres à son sujet. De retour en France, ils doivent rédiger un texte (en espagnol) présentant le sujet traité (un lieu, un monument, un moment de la journée ...) et les sons enregistrés lors du voyage.
Nombre de séances avec moi : 6 dont 3 pour l'enregistrement des voix des élèves et le montage en autonomie.

Déroulement du projet 
  • séance 1 : l'habillage antenne : séance faite avant le voyage afin de les motiver et les aider à se projeter dans leur future chronique radio. Le liner créé a été écouté avant le voyage.
  • voyage : enregistrement de bruitages, ambiances sonores, interviews durant le voyage
 Documents distribués aux élèves pour leurs prises de sons.

  • séance 2 : De l'écrit à l'oral


Cette séance est en deux temps.
  1. Comment on écrit pour l'oral 
  2. Différencier le ton journalistique (neutre, froid) du ton animateur (sourire, agréable, dynamique).
Je leur fais écouter deux chroniques en suivant, sans aucun commentaire.
"Pourquoi les zones humides ont-elles droit à une journée mondiale" de Nathalie Fontrel sur France Inter (30 janvier 2013, chronique "la question du jour") J'ai également utilisé cette chronique avec les 6° et les 3°
"La DVDthèque idéale" par Pierre Langlais sur Le Mouv' (Le Mouv' propose des podcasts sur des thématiques très diverses et dont le contenu (informations et expression orale) est de très grande qualité. C'est sur le Mouv' que je vais en premier pour choisir des podcasts car les chroniques ou émissions ciblent les jeunes "sans faire du NRJ")
Nous comparons ce que nous entendons : l'une, c'est la froideur, neutralité du ton, accentuation des mots. L'autre : le sourire, le dynamisme, la bonne humeur, les mots accentués. Les élèves ont le choix du ton lors de leur enregistrement. Le ton propre à l'animation est plus difficile pour les élèves à cause du sourire à garder durant toute la lecture ainsi que le dynamisme.
  • séance 3 : enregistrement (groupes de 4 élèves en moyenne par chronique)
  • séance 4, 5 et 6 : montage en autonomie
J'ai créé un tutoriel pour les élèves (qui utilise d'ailleurs ce que j'ai publié sur ce blog). Je ne leur ai pas montré mais mis à disposition sur leur atelier du réseau interne du collège (histoire de favoriser l'autonomie). J'ai fait une démonstration de montage simple (couper les bruitages trop longs, les hésitations lors de la lecture de leur texte) puis multi-piste (montage de leur voix + ambiances sonores) via le vidéo-projecteur. Je ne suis pratiquement pas intervenue lors du montage.



            Ce type de projet est assez complet et me permet de vous renvoyer au billet écrit sur les compétences en littératie médiatique d'après le tableau de Pierre Fastrez.
Il n'y a pas de recherche d'informations car toutes les informations ont été recueillies lors du voyage.  

Compétences en littératie médiatique :
En plus des compétences listées dans le billet en lien, je rajoute :
Comprendre les enjeux de l'habillage antenne pour la chronique, la radio et les auditeurs
Comprendre le processus de création de l'habillage antenne d'une chronique radio

Compétences en littératie informationnelle : 
Savoir communiquer une information exhaustive
Savoir contextualiser les enregistrements d'ambiances sonores 
Savoir construire le scénario écrits d'un reportage à partir d'éléments sonores réels
Savoir écrire pour l'oral

Compétences en littératie informatique : 
Savoir utiliser le logiciel audacity (usage simple)
Savoir utiliser des raccourcis clavier
Savoir différencier l'enregistrement d'un projet dépendant d'un seul logiciel (.aup) et le fichier MP3 lisible par plusieurs logiciels
Savoir enregistrer le fichier sonore au format voulu (WAV par défaut, MP3 à sélectionner)


Ce qui permet d'évaluer des items du B2I  (en plus de celles du Socle Commun) :

1 s'approprier un environnement informatique de travail :
  • 1   utilisation de l'atelier "Magret" propre au réseau pédagogique de l'établissement 
  • 3  utilisation du logiciel Audacity, enregistrement du projet sous .aup et exportation de(s) piste(s) sonore(s) sous MP3
2 adopter une attitude responsable : 
  • 1  nous avons abordé les droits d'auteur appliqués à You Tube ainsi qu'à toutes les musiques et bruitages téléchargés (qui manquaient pour le montage) sans l'autorisation de l'auteur. En effet, les élèves ont le réflexe "You Tube" dès qu'on leur demande d'amener une musique) Les bruitages téléchargés proviennent de Sound-fishing.
  • 4  il s'agit là d'un véritable travail de groupe, de l'enregistrement des ambiances sonores jusqu'au montage finale. L'émission est l'association des 7 chroniques enregistrées et montées par les élèves en autonomie
créer, produire, traiter, exploiter des données :
  • 2  traitement des sons et montage réalisés par les élèves
  • 3  le montage est un mode d'organisation du document sonore

             L'enseignante en espagnol s'est occupée du dérushage : elle a listé tous les sons enregistrés par les élèves lors du voyage. Elle a également encadré le travail d'écriture en espagnol (je n'étais pas d'une grande aide, ayant un accent  ... pas d'accent en fait). Ce projet est possible à condition que l'enseignante disciplinaire s'investisse entièrement dans le projet, ce qui est le cas ici. Elle sait ce que les élèves enregistrent lors du voyage, elle anticipe les ambiances à ne pas oublier. Elle utilise ce projet pour son enseignement disciplinaire, ce qui permet de créer un projet transversale où espagnol, éducation au média radio et culture informationnelle sont complémentaires.